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29 sepember 2008 06:39
Les Malais de la Thaïlande
Par
Pierre FISTIÉ
Le cas des Malais de Thaïlande montre que l‘existence d‘une minorité nationale n‘est pas nécessairement la cause d‘un antagonisme entre le gouvernement auquel elle est soumise et celui d‘un pays voisin où ses frères de race constituent la majorité de la population. Encore faut-il, en effet, que les dirigeants de ce pays soient résolus à exploiter la situation, ce qui, en l‘occurrence, n‘a pas eu lieu jusqu‘à présent.
Le problème posé par la subordination de Malais à une autorité thaïe remonte en fait à la fin du XIIIe siècle, c‘est-à-dire à l‘époque de la formation par voie de conquête d‘un royaume thaï au milieu de la péninsule indochinoise. Cette conquête, en effet, s‘étendit jusque dans la région moyenne de la presqu‘île de Malacca où vivait une population malaise dont la conversion à l‘Islam, dans le courant du XVe siècle, devait encore renforcer la personnalité.
L‘effondrement du royaume siamois en 1767 sous les coups des Birmans et son éclatement momentané en, principautés autonomes permit à cette population de retrouver une indépendance de fait qui allait d‘ailleurs permettre à la Grande-Bretagne de prendre pied dans le monde malais (c‘est, en effet, en 1782 que le sultan de Kedah, précédemment vassal du Siam, céda l‘île de Penang à I‘East India Company). Le rétablissement de la souveraineté siamoise s‘accompagna d‘un « durcissement » de l‘autorité thaïe, en particulier au Kedah qui, à partir de 1821, et pour une durée de vingt ans, fut soumis à un régime d‘administration directe que la population supporta très mal. La révolte qui éclata en 1831 et se communiqua au Pattani, entraîna une répression impitoyable marquée par des déportations massives de Malais dans les provinces du Siam central.
Ce n‘est qu‘entre 1874 et 1888 que la Grande-Bretagne établit son protectorat sur les quatre Etats malais du Perak, du Selangor, du Negri Sembilan et du Pahang, et il faut attendre 1909 pour qu‘elle obtienne du gouvernement de Bangkok le transfert de ses droits sur le Perlis, le Kedah, le Kelantan et le Trengganu. Les frontières méridionales de la Thaïlande étaient désormais fixées. En 1943 cependant, le Japon céda à la Thaïlande l‘administration des quatre Etats auxquels elle avait renoncé en 1909, mais les Thaïs conscients du fait qu‘à ce stade de la guerre le cadeau était surtout compromettant. intervinrent au minimum dans la gestion des affaires locales de ces Etats qu‘ils restituèrent spontanément en 1945.
Les frontières fixées en 1909 laissaient une importante minorité malaise en territoire siamois. Officiellement, pour le gouvernement de Bangkok, il n‘y a pas de Malais en Thaïlande, mais seulement des « Thaïs musulmans ». Ceci laisserait supposer qu‘ils sont assimilés, ce qui n‘est vrai que pour les descendants des Malais déportés en 1832 dans les provinces centrales, lesquels, effectivement, ne se distinguent plus que par leur religion du reste de la population, Les autres, c‘est-à-dire ceux vivant dans la péninsule, à proximité de la frontière de Malaisie dans les cinq provinces de Songkhla, Pattani, Satun, Yala et Narithiwat (où ils formaient en 1947, 70 % à 87 % de la population, sauf dans la province de Songkhla où ils n‘étaient que 17 %) ont conservé leur personnalité non seulement religieuse, mais linguistique. C‘est de ces derniers seulement (qui pouvaient être évalués à un peu plus de 500 000 en 1956) qu‘il sera question ici.
II s‘agit d‘une population presque entièrement rurale (les « villes » de la région ne sont que de gros, marchés). pratiquant une riziculture de subsistance complétée par la culture commerciale du cocotier et par celle de l‘hévéa qui a pris une importance croissante depuis la fin de la première guerre mondiale. Il faut noter que l‘hévéa a été introduit par des immigrants chinois venus de Malaisie et qui se sont installés dans les provinces de Thaïlande méridionale. Leurs plantations sont, dans la plupart des cas, de dimensions supérieures à celles des Malais qui n‘emploient que de la main-d‘œuvre familiale alors que les Chinois font appel aux services de salariés (Chinois eux aussi) et monopolisent pratiquement la commercialisation du caoutchouc récolté, quelle que soit sa provenance.
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Les souverains de la dynastie Chakhri n‘ont pas maintenu indéfiniment à l‘égard des Malais leur attitude rigoureuse de la première moitié du XIXe siècle. C‘est ainsi que le Code civil de 1925 prévoyait pour eux l‘application de la loi islamique en matière de mariage et de succession, et la présence de juges musulmans aux côtés des juges siamois dans toutes les affaires intéressant ces deux domaines[1].
Le régime « constitutionnel » issu du coup d‘Etat de 1932 eut d‘abord le souci de ne pas s‘aliéner la minorité malaise[2]. Des exemptions en matière de mariage et de succession au profit de la population musulmane se retrouvent d‘ailleurs dans le nouveau Code civil et de commerce de 1934[3].
Le problème des Malais de Thaïlande apparut à notre époque lorsque Phibun Songkhram (qui accède au poste de Premier ministre en décembre 1938) inaugura, notamment en matière scolaire, une politique d‘assimilation qui allait encore s‘intensifier en 1941 avec la suppression des privilèges légaux des Malais. Ceux-ci opposèrent à toutes ces pressions une résistance passive fort efficace, mais il s‘agissait là d‘un phénomène sodal spontané bien plutôt que d‘une opposition politique organisée.
Les données du problème furent profondément modifiées en 1946 par la prise de conscience nationale qui s‘opéra alors de l‘autre côté de la frontière chez les Malais de Malaisie (en réaction au statut de la Malayan Union qui, à leurs yeux, faisait la part trop belle aux Chinois). Une certaine effervescence en résulta chez les Malais des provinces méridionales de Thaïlande et continua de se manifester en dépit de la restitution, en décembre 1946 (par le gouvernement de l‘amiral Thamrong Nawasawat), des privilèges qui leur avaient été retirés par Phibun[4].
Le coup d‘Etat militaire de novembre 1947 et la réapparition de Phibun dans la vie publique firent se détériorer davantage encore la situation. Le conseiller (malais) pour les Affaires islamiques, nommé par les gouvernements pro-Pridi de l‘immédiat après-guerre auprès des administrations méridionales s‘enfuit à Singapour. Un leader malais apparut pour la première fois en la personne d‘un certain Haji Sulong qui réclama du nouveau gouvernement (il s‘agissait à ce moment d‘un Cabinet Khuang Aphaiwong) l‘octroi d‘une large autonomie aux quatre provinces à peuplement malais majoritaire. En janvier 1948, il fut arrêté avec plusieurs de ses partisans et accusé de trahison. Le nouveau coup d‘Etat d‘avril 1998 et le retour de Phibun au pouvoir aggravèrent encore la situation. Le 26, la répression d‘une manifestation malaise fit de nombreux morts[5] et, le mois suivant, une révolte éclata dans la province de Narathiwat (sur la côte est, à proximité de la frontière malaise). La violence de la répression eut pour résultat la fuite au Kelantan (c‘est-à-dire en Malaisie) de quelque deux mille per-sonnes. Au Sud de la frontière, la prèsse malaise réclamait le rattachement des quatre provinces à la « Fédération de Malaisie » qui venait d‘être instaurée en février 1948 sous l‘administration britannique. Des voix malaises s‘élevaient en même temps dans la province de Pattani pour demander à la Grande-Bretagne de retirer la reconnaissance qu‘elle avait accordée au nouveau gouvernement de Bangkok[6].
Il eût été concevable que le gouvernement britannique – dont les exigences économiques avaient singulièrement compliqué la tâche des dirigeants thaïlandais de l‘immédiat après-guerre – se montrât disposé, sinon à encourager des tendances séparatistes chez les Malais de Thaïlande, du moins à les soutenir contre leur gouvernement. Une telle politique aurait pu être l‘amorce d‘un conflit international. S‘il n‘en a rien été c‘est qu‘un fait nouveau, survenu cette fois en Malaisie, vint modifier une fois de plus les données du problème. Il s‘agit de l‘insurrection communiste chinoise déclenchée en juin 1948 par le Malayan Communist Party (M.C.P.) et qui entraîna l‘établissement d‘un « état d‘urgence » qui dura jusqu‘en 1960. On s‘aperçut très vite que, dans le Nord du pays, les guérillas trouvaient en territoire siamois un refuge où il leur était possible de se refaire en toute sécurité : à côté des Malais qui forment le gros de la population des quatre provinces méridionales, de nombreux Chinois étaient établis de longue date dans la région, ce qui permettait aux guérilleros de passer facilement inaperçus.
Il s‘agissait dès lors pour la Grande-Bretagne d‘obtenir du gouvernement de Bangkok une coopération effective contre les communistes chinois. Du côté siamois, d‘autre part, on souhaitait avoir l‘assurance que les Britanniques ne soutiendraient pas les tendances autonomistes qui se faisaient jour chez les Malais de Thaïlande. Les bases d‘un rapprochement anglo-thaï résultaient des données mêmes de la situation. Au début de décembre, M. Malcolm MacDonald, haut commissaire pour l‘Asie du Sud-Est, se rendit en personne à Bangkok et, à la suite de ce voyage, le gouvernement britannique accepta de fournir à la Thaïlande du matériel militaire et des facilités d‘entraînement pour la lutte anti-guérilla. Quant au gouvernement Phibun, il faisait connaître, le 17 février 1949, son accord pour que soit mieux contrôlée la frontière[7]. Tout en promettant au gouvernement de Bangkok de ne pas attiser le mécontentement des Malais, il semble que M. MacDonald lui ait donné des conseils de modération en ce qui concerne la politique à suivre à leur égard. Toujours est-il que le mécontentement des provinces méridionales cessa de prendre une forme aiguë. Les Thaïs, par contre, ne firent rien d‘effectif contre les guérillas chinoises réfugiées sur leur territoire. C‘est en tout cas de la jungle du « saillant de Betong » (fraction de territoire thaïlandais qui s‘avance entre les Etats malais du Kedah et du Perah) que Chin Peng (secrétaire général du M.C.P. depuis mars 1947)[8] sortit pour se rendre à l‘entrevue qu‘il eut le 28 décembre 1955 dans la petite localité de Baling (Kedah), avec le Tengku Abdul Rahman et M. David Marshall, à cette époque respectivement Chief ministers de la Fédération et de Singapour. Cette entrevue ne donna d‘ailleurs aucun résultat, le Tengku – qui avait offert une amnistie – n‘étant pas disposé, en revanche, à autoriser le M.C.P. ni à laisser ses partisans sans surveillance. La lutte se poursuivit contre les guérillas communistes qui, lorsque la Fédération accéda à l‘indépendance, le 31 août 1957, avaient pratiquement été refoulées dans la jungle de la frontière malayo-thaïlandaise. Elles allaient d‘ailleurs se contenter d‘y subsister (avec des effectifs évalués à cinq cents hommes environ) en prélevant des contributions forcées sur les planteurs de caoutchouc chinois (de Thaïlande) et sur leurs ouvriers, et en se livrant auprès de ces derniers à une certaine propagande.
La persistance de ce noyau de communistes chinois s‘expliquait en grande partie par le fait qu‘en dépit des demandes de coopération qui lui étaient adressées par le gouvernement de Kuala-Lumpur (comme précédemment par les Britanniques), le gouvernement de Bangkok ne se sentait pas concerné, les dirigeants du M.C.P., bien qu‘établis en territoire siamois, continuant à tourner leurs regards vers le Sud. Le jour allait venir cependant où la Thaïlande allait être affectée par cette situation plus encore que la Malaisie.
C‘est le projet de former la Malaysia formulé pour la première fois par le Tengku Abdul Rahman, le 27 mai 1961, qui allait faire rebondir le problème.
Si le projet, puis la constitution de la Malaysia, le 16 septembre 1963, intéresse le problème des Malais de Thaïlande, c‘est d‘abord parce que le 19 janvier 1962, à la Chambre des représentants de Kuala-Lumpur, le Pan-Malayan Islamic Party (P.M.I.P.), parti d‘opposition conservateur qui a sa citadelle au Kelantan (et dont le souci dominant est d‘affirmer le caractère malais et musulman de la Malaisie), suggéra que les Malais de Thaïlande devraient être « informés » de la proposition de former la Malaysia. Le Tengku Abdul Rahman fit comprendre aussi-tôt qu‘une telle initiative ne correspondait pas à la politique du gouvernement, et que celui-ci était soucieux avant tout de maintenir de bonnes relations avec le gouvernement thaïlandais pour mieux faire obstacle aux guérillas communistes chinoises. Le 1er mars on apprenait, effectivement, que les souverains thaïlandais étaient invités à visiter la Malaisie, et du 21 au 23 mars, des conversations malayo-thaïlandaises sur la lutte contre les border terrorists eurent lieu dans les Cameron Highlands.
Avant de soulever le problème des Malais de Thaïlande, le Dr Burhanuddin, président du P.M.I.P., avait déclaré devant l‘Assemblée, dès le mois d‘octobre 1961, son hostilité au projet de Malaysia tel qu‘il avait été formulé, et sa préférence pour une vaste fédération malaise avec l‘Indonésie et les Philippines. Il allait encore défendre cette manière de voir le 1er mai 1962 devant la Chambre des représentants, mais celle-ci, à l‘issue d‘un débat de deux jours, repoussa cette proposition par une majorité écrasante. Seul, M. Ahmed Bœstaman, leader du parti Ra‘ayat (autre parti malais d‘opposition, mais situé à l‘extrême gauche) exprima son soutien pour la motion du P.M.I.P.
Ainsi, dès ce moment, dans la Fédération de Malaisie, les positions étaient prises. Il existait, d‘une part, une tendance pan-malaise représentée uniquement par des partis d‘opposition (de droite et de gauche) dont l‘un n‘avait nullement caché l‘ambition qu‘il avait de voir ce mouvement s‘étendre à la minorité malaise de Thaïlande. D‘autre part, le parti de l‘Alliance, au pouvoir à Kuala-Lumpur, restait dominé par le souci de se prémunir contre une éventuelle réactivation des guérillas communistes chinoises et d‘obtenir une coopération plus effective de la part des autorités de Bangkok. Ce résultat fut atteint – au moins en principe – par l‘accord du 13 mars 1965 prévoyant la réunion périodique d‘un Thai-Malaysian border Committee et l‘établissement d‘un centre de renseignement commun à Songkhla (lequel ne semble avoir été inauguré qu‘en 1966).
La situation dans les provinces méridionales s‘était, à vrai dire, profondément modifiée depuis la fin de 1964 et cela sous l‘influence de facteurs multiples.
Tout d‘abord, la « confrontation » malayo-indonésienne avait eu pour conséquence le débarquement de commandos indonésiens sur la côte occidentale de la péninsule, mais en territoire thaïlandais, lequel était moins bien gardé que celui de l‘Etat voisin. Ces commandos étaient ensuite guidés jusqu‘à la frontière par les guérillas communistes chi-noises qui se faisaient rétribuer en armes et en munitions. Il semble, en outre, que des armes leur parvenaient par contrebande depuis les Etats de la côte est de Malaisie, vraisemblablement grâce à l‘aide de membres extrémistes du P.M.U. Ces armes étaient destinées à per-mettre une campagne de recrutement qui s‘adressait avant tout à la population malaise des quatre provinces méridionales de Thaïlande[9]. D‘après certains renseignements, les effectifs des terroristes auraient ainsi triplé, passant de 500 à 1 500 hommes. Ces « terroristes », qui précédemment ne s‘aventuraient que par groupes de deux ou trois, se déplaçaient maintenant par véritables unités de quinze ou vingt hommes et, au cours de l‘année 1965, ont entrepris une campagne d‘assassinats politiques, s‘attaquant à la police, aux fonctionnaires, à des instituteurs ou à des propriétaires de plantations[10].
Il y avait là une double nouveauté. Tout d‘abord c‘était la première fois que l‘on observait pour une entreprise commune de subversion une coopération aussi étroite entre Chinois et Malais. En Malaisie, l‘insurrection de 1948 avait été presque uniquement le fait des Chinois, les tardives tentatives de recrutement de Malais par le M.C.P. s‘étant heurtées au fait que la fraction malaise de la population (majoritaire dans les limites de la Fédération) était en voie, dès 1954. de voir ses aspirations politiques satisfaites. La réussite de l‘effort de recrutement de Malais dans les guérillas chinoises réfugiées en Thaï-lande s‘explique a contrario par la situation minoritaire dans laquelle ces Malais se trouvent au Nord de la frontière et, plus concrètement, par la nature peu satisfaisante de leurs rapports avec une administration dont le recrutement est entièrement thaï.
Certains indices permettent, au surplus, d‘affirmer que l‘année 1963 avait vu une sorte de « relance » de la politique d‘assimilation. C‘est ainsi qu‘en février, après une tournée dans les provinces du Sud, le Premier ministre thaïlandais, le maréchal Sarit, avait annoncé son intention de substituer le samedi et le dimanche comme jours de congé au jeudi et au vendredi qui continueraient à être chômés suivant la coutume musulmane dans les quatre provinces de peuplement malais[11]. Deux mois plus tard, on apprenait que le ministre de l‘Intérieur avait nommé une commission chargée d‘étudier le problème du changement des noms de lieux non thaïs, particulièrement dans le Sud où 99 % des noms de lieux devaient étre remplacés[12].
La seconde nouveauté c‘est qu‘en s‘étoffant, grâce aux Malais de Thaïlande, l‘organisation animée par le M.C.P. cessait du même coup d‘avoir pour adversaire principal le gouvernement de Kuala-Lumpur et se retournait contre le gouvernement de Bangkok, en liaison avec l‘activité subversive dont le Nord-Est, de peuplement lao, était lui aussi le théâtre. Il est possible que cette liaison ait été pour une part l‘œuvre d‘un Thaï du nom de Monkon Na Nakon, qui a longtemps résidé dans le Sud où il était propriétaire d‘une scierie. Arrêté en 1952, sous l‘inculpation de communisme, il avait été relâché trois ans plus tard. En mars 1965, on le voit arriver en Chine pour prendre la tête du Mouvement d‘indépendance thaïlandais avant de devenir le second de Payome Chulanon, le leader du Front patriotique thaïlandais, lorsque cette seconde organisation absorbera la première en novembre 1965[13].
Le problème qui se pose (et il est le même pour les Lao du Nord-Est où ont été mis à jour, à maintes reprises, des complots séparatistes) est de savoir quelle est pour les Malais de Thaïlande la signification subjective de cette intégration à un mouvement intéressant cette fois la nation dans laquelle ils vivent puisqu‘il vise officiellement au renversement du régime de Bangkok. II est permis de se demander – et certains commentateurs n‘ont pas manqué de le faire – si le recrutement de Malais dans les guérillas jusque-là chinoises des provinces méridionales ne s‘est pas fait en échange d‘une promesse ou, tout au moins, d‘un espoir de sécession au cas où le mouvement réussirait[14]. Quoi-qu‘il en soit, l‘aspect le plus paradoxal de la situation reste que cet espoir ne se heurte pas seulement à la volonté du gouvernement de Bangkok de maintenir l‘intégrité de son territoire, mais au. souci du gouvernement de Kuala-Lumpur (dont la position est maintenant renforcée par l‘abandon de la « confrontation » indonésienne) de maintenir de bonnes relations avec ses voisins thaïlandais.
Depuis la première moitié du XIXe siècle, les Malais placés sous contrôle thaï ont manifesté à plusieurs reprises le désir d‘échapper à cette autorité. S‘ils n‘y sont pas parvenus, c‘est en grande partie parce qu‘ils n‘ont pas été soutenus par la. seule puissance qui fût capable de les y aider. à savoir la Grande-Bretagne qui, par le traité de 1826, se contenta de fixer à la frontière méridionale du Kedah la limite de la zone placée sous contrôle siamois. Le passage, de quatre Etats malais sous contrôle britannique en 1909 ne fait pas exception car il ne s‘agissait plus à cette époque de les aider à se libérer d‘une domination thaïe qui – en ce qui les concerne – était devenue plus nominale que réelle. Depuis 1957, le gouvernement de Kuala-Lumpur, soucieux comme l‘avaient été les Anglais de conserver de bonnes relations avec Bangkok, a suivi exactement la mime ligne de conduite et paraît bien résolu à ne pas s‘en écarter.
Il faut noter, en revanche, qu‘au XIXe siècle certains administrateurs britanniques n‘ont pas partagé les vues officielles en la matière, attitude dont on peut rapprocher la politique préconisée de nos jours par le P.M.I.P.
Pratiquement, la seule aide que les Malais de Thaïlande peuvent attendre du gouvernement de Kuala-Lumpur est de la mème nature indirecte que celle qu‘ils ont reçue de la Grande-Bretagne en 1842 (lors du rétablissement du sultan de Kedah) ou en 1948 (sous la forme de conseils de modération au gouvernement de Bangkok).
L‘Indonésie, à l‘époque de la politique de « confrontation avec la Malaysia, a-t-elle exercé une action directe pour inciter les Malais de Thaïlande à se joindre aux guérillas communistes chinoises ? On ne saurait l‘affirmer de façon certaine, une telle action n‘ayant pu qu‘être clandestine. Il est sûr toutefois que la « confrontation » et l‘idéal pan-malais qui semblait l‘animer ont éveillé certains espoirs chez les Malais de Thaïlande méridionale suivant un processus assez comparable à celui qui avait été déclenché par l‘apparition du nationalisme malais en 1946.
L‘abandon par l‘Indonésie de sa politique de confrontation – effet différé de l‘échec du « mouvement du 30 septembre » – ne laisse que peu de chances aux Malais de Thaïlande de voir leurs tendances autonomistes soutenues de l‘extérieur. Ce nouvel état de choses n‘ouvre, semble-t-il, que trois perspectives : ou bien la « subversion » malaise n‘est qu‘un feu de paille, ou encore elle s‘apaise après avoir donné des résultats, ce qui suppose que le gouvernement de Bangkok montre davantage de sollicitude pour les Malais et surtout qu‘il assouplisse sa politique à leur égard (mais on se heurte ici à l‘obstacle constitué par le recrutement purement thaï du personnel administratif), Si, faute d‘avoir satisfaction, les tendances subversives continuaient de se manifester, il leur faudrait alors s‘intégrer dans un mouvement ayant vocation à s‘adresser à l‘ensemble du pays et ayant de ce fait un caractère non plus centrifuge mais centripète dans la mesure où son objectif principal serait de changer le régime à Bangkok. Il est évident qu‘un tel mouvement pourrait difficilement mettre l‘accent sur la sécession, ce qui, à l‘échelon local, n‘exclut d‘ailleurs pas certaines promesses aux intéressés.
Le mouvement de mécontentement et de « subversion » qui se fait jour dans les provinces méridionales affecterait alors la même ambiguïté qui caractérise depuis 1949 celui des provinces du Nord-Est de peuplement lao, prenant tantôt l‘aspect d‘un complot séparatiste, tantôt celui d‘une opposition légale, tantôt celui d‘une opposition armée, dans un cadre thaïlandais. II est certain, en tout cas, que l‘orientation centrifuge ou centripète que prendra l‘opposition d‘une minorité nationale dépendra avant tout des circonstances, et que la minorité malaise de Thaïlande n‘a pas rencontré jusqu‘à présent des circonstances favorables à une sécession. La raison principale doit en être recherchée jusqu‘en 1957 dans l‘attitude de la Grande-Bretagne et depuis, dans celle du gouvernement malayen.
Au XIXe siècle, la Compagnie des Indes (qui jusqu‘en 1858 géra les Straits Settlements), puis le gouvernement britannique n‘eurent jamais l‘ambition de soumettre à leur contrôle la totalité des Malais de la péninsule. La Compagnie des Indes était même hostile à toute installation en dehors des trois Settlements de Penang, Malacca et Singapour et, si le gouvernement de Londres finit par établir progressivement son protectorat sur les Etats malais de la péninsule, il sut toujours modérer son appétit territorial du côté siamois. Cette modération s‘explique par la priorité qu‘il a donnée depuis 1826 et, plus encore depuis 1855, à l‘ouverture, puis à la conservation du marché siamois au commerce britannique. A cette première préoccupation s‘en rattache une seconde dans le dernier quart du XIXe siècle : celle de ne pas fournir à la France un prétexte pour étendre ses propres territoires coloniaux aux dépens du Siam. On peut remarquer à cet égard que l‘établissement du contrôle britannique sur les quatre Etats de Perlis, Kedah, Kelantan et Trengganu ne s‘est fait qu‘en 1909, c‘est-à-dire postérieurement à la conclusion de l‘Entente cordiale et à la fixation en 1907 des frontières entre le Siam et l‘Indochine française.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les nouvelles conditions de la vie internationale, particulièrement en Asie du Sud-Est, excluaient d‘avance toute expansion territoriale de la part d‘une ancienne puissance coloniale. Dans ce contexte, le fait que les guérillas chinoises aient trouvé un refuge en territoire siamois – fait qui, cinquante ans plus tôt, aurait pu étre un prétexte d‘intervention – a été, au contraire, le point de départ d‘un accord anglo-siamois qui tua dans l‘œuf les tendances autonomistes qui se faisaient jour à ce moment chez les Malais de Thaïlande. Au demeurant, les problèmes posés par la subversion communiste chinoise étaient suffisamment préoccupants pour que la Grande-Bretagne évite d‘affronter un adversaire supplémentaire.
La Fédération de Malaisie qui, en 1957, n‘avait pu accéder à l‘indépendance qu‘une fois cette subversion réduite à l‘impuissance, continuait nécessairement à y voir le principal danger menaçant sa stabilité politique, sinon son existence même[15]. Animé par cette préoccupation, le gouvernement de Bangkok ne pouvait que subordonner sa politique à l‘égard de la Thaïlande au désir d‘obtenir la coopération de cette dernière contre les restes des guérillas communistes subsistant dans la jungle du côté thaïlandais de la frontière.
Rien ne permet d‘affirmer que la passivité montrée jusqu‘en 1964 par les autorités thaïlandaises (en dépit de leur anticommunisme déclaré) à l‘égard de ces débris du M.C.P. ait été le résultat d‘un calcul. Il n‘en est pas moins certain que la présence de ces guérillas était le plus sûr garant de l‘attitude très compréhensive montrée par le gouvernement de Kuala-Lumpur en ce qui concerne le problème des Malais de Thaï-lande. A ce facteur s‘est ajouté le fait qu‘à partir de 1963 ce gouvernement (qui, le 16 septembre, est devenu celui de la Malaysia) s‘est trouvé en butte à la « confrontation » indonésienne et que cette nouvelle menace imposait plus que jamais d‘avoir de bonnes relations avec Bangkok. La priorité donnée à ces relations allait d‘autant plus de soi que la nouvelle prise de conscience qui paraissait s‘opérer chez certains Malais de Thaïlande résultait des encouragements de l‘Indonésie et du P.M.I.P. qui, jusqu‘en 1965, a manifesté à l‘encontre de la formation même de la Malaysia une opposition de principe. Le gouvernement de Kuala-Lumpur, depuis l‘abandon par l‘Indonésie de sa politique de confrontation, n‘a cessé de persister dans son attitude. L‘atmosphère d‘insécurité qui règne en Asie du Sud-Est du fait de la prolongation du conflit vietnamien, et la similitude des jugements que formulent à son égard les dirigeants thaïlandais et malaysiens suffisent à expliquer que les seconds, comme naguère encore leurs devanciers britanniques. fassent prévaloir les impératifs généraux sur toute autre considération dans leurs rapports avec leurs voisins septentrionaux.
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Pierre Fistié est un spécialiste de la Thaïlande.
Cet article, qui a été prise de la Revue française de science politique, année1967, volume 17, numéro 4 p. 749-760, a été téléchargé du site www.persee.fr
Image:http://www.thaiphotoblogs.com Bazuki Muhammad/REUTERS, prise le 24 septembre 2006 à la province de Yala, Thaïlande.
[1]LANDON (K.P.), « Siam », in MILLS (L.A.) ed., The New World of South East Asia, Minneapolis, University of Minneasota Press, 1949, x-446 p.,p.254.
[2]Voir, à ce propos, les commentaires officiels à la Constitution de décembre 1932 AKSORLUKSNA (Luang Pracherd), La Constitution siamoise de 1932, Paris, Domat-Montchrestien, 1933, 221 p., annexe IV, pp. 201-202.
[3]THOMPSON (V.), ADLOPP (R.), Minority Problems in Southeast Asia,
Stanford, Stanford University Press, 1955, vint-295 p., p. 159.
[4]Celui-ci avait dû quitter le pouvoir dès juillet 1944.
[6]THOMPSON (V.), ADLOFF (R.), op. cit., pp. 159-162.
[7]WODDIS (H.C.K.), « Siam : cockpit of Anglo-American interest », Eastern World, janvier-février. 1949, pp. 7-9. COAST, (John), Some Aspects of Siamese Politics, New York, Institute of Pacific Relations, 1953, IV-58 p., p. 57. LORMEL, (Pierre) , « Le Siam et le communisme », Information et documentation, 24 septembre 1949, p.14.
[8]BRIMMEL (J.H.), Communism in South-East Asia, a political analysis, London, Oxford University Press, 1959, p. 209.
[9]On a la preuve de ce recrutement par la découverte, dans des camps abandonnés par Ies guérillas, de cuisines distinctes pour les Chinois mangeurs de porc et pour les Malais musulmans. Cf. VANDERKRŒF(Justus M.), « Thaïland between two Millstones », Contemporary Review, juil. 1966, pp. 20-24.
[10]PARKER (Maynard), « Squeeze Play in Thaïland », The Reporter, 11 août 1966, pp. 16-18.
[11]« Development of the Southern Region » , Siam Rath Weekly Review, 21 févr. 1963.
[12]« What‘s in a name », Siam Rath Weekly Review, 18 avr. 1963(en fait, ce projet avait été formulé dès avant l‘arrivée de Sarit au pouvoir, mais on s‘était borné à l‘époque à modifier le nom des gares).
[13] MUNTHE-KAAS (Harald),« Far from Bangkok », Far Eastern Economic Review, 19 mai 1966, pp. 326-330.
[14] Si l‘on en croit une déclaration du Tengku Abdul Rahman, remontant à l‘été 1964, les « terroristes communistes » auraient fait effectivement des promesses de ce genre. Cf. DAVIES (D.), « Backdoor Dangers », Far Eastern Economic Review, 13 août 1964, pp. 274-276.
[15]L‘état d‘urgence instauré en 1948 allait d‘ailleurs être maintenu jusqu‘en 1960.